
Treizième jour : N'Guimi-Bol Je suis réveillée par le chant du coq. - Où est-on ici? à N'Guimi ? Khady rit parce que j'ai prononcé le N. On doit juste faire précéder le mot par un son nasal inexistant. - Placé devant un nom propre, il marque la noblesse. L'Anglaise vérifie la pression des pneus. J'entre chez Harouna, greffier. Nous écoutons à la radio Africa n° 1. Il se prépare pour aller au travail. Je sors. Les Tchadiennes font un topo sur leur pays. Le Nord est musulman, le Sud catholique. C'est un pays très enclavé. Des mises en garde nous sont faites : le Tchad est sous le poids des traditions, prière de les respecter, le pantalon est autorisé, prière de ne pas porter de kaki, ne pas entrer dans les détails, pas de questions politiques. La situation est calme, mais : - Nous sommes un pays en guerre. La Libye occupe le Nord. Tout le monde est sur les nerfs. II peut y avoir des réactions violentes. Prenez les choses avec calme. Nous avons connu beaucoup de malheurs. Ne vous attendez pas à trouver des climatiseurs, des autoroutes. Nous avons le strict minimum. La guerre civile a commencé en 1963. Depuis 1982, l'union est en train de se faire. Pendant dix-huit ans, le pays a été secoué. Nous quittons N'Guimi avec les convoyeurs fournis par le gouvernement tchadien. Les maisons sont en pierre. Au « dépôt » de médicaments, le pharmacien ne veut pas qu'on l'appelle pharmacien parce qu'il n'a pas de diplôme. Il vend des aspirines dans un cornet constitué par une feuille arrachée à un cahier. Je veux lui acheter le cahier. II dit : - Non c'est un cadeau. I1 me le donne. Il y a la carte du Niger dessus. II distribue des Bic. Je dis : - Vous n'allez pas faire d'affaires si vous offrez plus de choses qu'on ne vous en achète. Un enfant s'approche. Il dit: - Cicret; cicret. Je crois qu'il dit: secret, secret. Il vend en fait des cigarettes. Nous roulons sur des os. La Belge dit : - Ce sont les os d'un chameau ou je rêve. - Il y a des ossements mais je ne sais pas si ce sont ceux d'un chameau. Un véhicule s'ensable. On installe des câbles pour le tirer. Le désert est une expérience métaphysique. Nous sommes silencieux. Dans les passages difficiles, Ali fonce en cisaillant ; ü agite le volant de gauche et de droite pour éviter l'ensablement. Parfois, on tourne en rond pour s'éloigner de l'obstacle, reprendre son élan, passer; comme dans la vie. A Daboa, nous avons dépassé de 18 km la frontière. Le chef du PC dit : - On a patrouillé toute la nuit pour vous rechercher. Ils sont partis à 10 km au nord, 10 km au sud, 10 km à l'ouest, 10 km à l'est. Il n'y a plus personne pour vous accueillir. Des enfants décharnés, le visage couvert de mouches, demandent des cadeaux, des adresses. Une femme avec un bébé sur le bras sort son sein pour me montrer qu'il ne peut plus nourrir. J'ai honte. Nous croisons un camion de Canadiens qui traversent l'Afrique. Ils ont rencontré un convoi de vingt et une Chinoises. Nous repartons. La Lune dit : - Si tu es chargée par un buffle, il ne faut pas monter aux arbres. Il crache un liquide qui vous démange; finalement, on finit par tomber sur ses cornes. II peut attendre des heures, des jours. II faut courir en zigzaguant. A Kisskawa, je dis : - Ali, que signifie Sahara? La Belge dit : - Mer de sable. Parfois des coquillages jonchent le sol. Je pense à J. dont j'ai appris le suicide. Je ne pensais jamais à lui quand il vivait. On aperçoit un lac. - C'est le lac Tchad ? - Non. C'est un mirage. La Lune dit : - Encore heureux qu'on n'ait pas soif; sinon, on aurait vu des poissons sauter. A la nuit tombante, la Lune me livre un secret de fabrication : la salade congolaise : Ingrédients : ananas, tomate fraîche, poivron, mayonnaise, concombre, oignon, langouste. Couper en petits morceaux; mettre du poivre et du sel; couper l'ananas en deux; vider pour faire une pirogue ou une jatte selon le sens choisi; remplir avec la salade; placer au réfrigérateur. N.B. : couper en dés très fins pour qu'on ne voie pas la recette, sauf la langouste, pour qu'on voie que c'est de la langouste. |